La saga du décret tertiaire : l’histoire d’un rendez-vous manqué

Vincent Bryant
Date24 juillet 2017

Annoncé pour la première fois en 2010, le décret tertiaire n’est finalement paru qu’en mai 2017 pour être suspendu 2 mois plus tard. Pierre angulaire de la politique de sobriété énergétique dans l’immobilier tertiaire, ce texte fixait les objectifs de réduction de la consommation énergétique à horizon 2020. Sa courte vie et le vif débat soulevé révèlent aussi bien l’ambiguïté de l’administration au sujet de la transition énergétique que le cruel manque d’innovation du secteur immobilier pour opérer cette transition efficacement. Retour sur un chemin semé d’embuches.

La première pierre posée par la loi Grenelle 2…

L’histoire commence en juillet 2010 avec la loi Grenelle 2. Elle donne le ton des obligations à remplir en matière de rénovation des bâtiments tertiaires : les professionnels disposent de 8 ans à compter du 1er janvier 2012 pour engager des travaux en ce sens. Un décret doit préciser les modalités des travaux et définir l’objectif à atteindre pour rendre l’obligation applicable. Le mythe du décret tertiaire est né.

À lire également : Le décret tertiaire, l’arlésienne du secteur immobilier

En 2012, l’administration Sarkozy envisage de publier ce fameux décret tertiaire pour mettre en application les obligations du Grenelle 2. Mais, les bâtiments publics sont soumis à l’obligation de rénovation du parc et les caisses sont vides. L’obligation risque de peser lourd sur les dépenses publiques. Le décret ne paraît pas.

La Loi de Transition Énergétique prend le relai

Élections de 2012, changement de majorité, l’administration Hollande s’empare du sujet de la transition énergétique. En 2015, c’est Ségolène Royal qui remet le décret tertiaire au goût du jour en introduisant dans la Loi de Transition Énergétique un objectif de réduction des consommations énergétiques du parc tertiaire de 60% à horizon 2050. Un objectif intermédiaire doit être fixé toutes les décennies et publié au moins 5 ans avant son entrée en vigueur par … décret. Le décret tertiaire est attendu plus que jamais puisqu’il doit donc fixer les objectifs à 2020 et sonner la mobilisation générale des acteurs de l’immobilier tertiaire.

À lire également : Les obligations instaurées par le décret tertiaire

Deux ans, plus tard, 5 jours avant la fin du mandat de François Hollande, le décret tertiaire voit enfin le jour, instaurant une obligation de réduction de -25% des consommations énergétiques à 2020. L’étendue de l’obligation doit encore être précisée par un arrêté. Le texte n’est toujours pas applicable à moins de 3 ans de sa date butoir et rencontre une véritable levée de boucliers de la part des associations professionnelles du commerce et l’hôtellerie.
PERIFEM, Le Conseil du Commerce de France, L’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie s’insurgent contre une obligation qui, selon eux, imposent des objectifs impossibles à remplir sans entamer fortement la rentabilité économique de leur activité. Bien qu’aucune sanction ne soit prévue si les objectifs ne sont pas atteints, ils se mobilisent et déposent un recours auprès du conseil d’Etat.

Le décret tertiaire suspendu

Après une première suspension partielle prononcée le 29 juin par le Conseil d’État, la suspension totale du décret tertiaire est prononcée le 11 juillet, 2 mois après sa parution.

À lire également : Les conditions de suspension du décret tertiaire

En effet, selon le Conseil d’État, le décret ne peut imposer une obligation de réduction des consommations énergétiques des bâtiments d’ici 2020, puisque la loi accorde un délai de cinq ans entre la publication du décret d’application et son entrée en vigueur. Délai non respecté ici ! Le juge a par ailleurs estimé que les professionnels concernés par le décret manquaient d’informations pour engager des travaux faute de publication de l’arrêté.

Le décret tertiaire est donc suspendu jusqu’à ce que Conseil d’État statue définitivement sur sa légalité. Cette procédure durant en moyenne une année, elle sonne inexorablement le glas du décret puisque même s’il était jugé légal, les délais d’applicabilité seraient impossibles à respecter.

Le décret tertiaire est mort, vive le décret tertiaire !

Des bruits de couloir dans les milieux autorisés annoncent déjà une possible renaissance du décret tertiaire. La réponse du cabinet Hulot est attendue avec impatience par tous les acteurs concernés.

Pour découvrir le guide « Stratégie décret tertiaire »

De ce départ manqué, nous pouvons tirer 2 conclusions :

  • Le besoin d’une volonté politique forte portée par l’Etat
    Le constat est sans appel. Parution tardive, rédaction sibylline, incohérence des textes, les hésitations des différentes administrations au sujet de ce décret lui ont coûté la vie. Pour engager la transition énergétique des bâtiments, il faut une règle claire, stable, cohérente et portée avec conviction. La débâcle du décret tertiaire est l’occasion de remettre à plat le dispositif législatif dans son intégralité pour mettre la cohérence et le pragmatisme au cœur du projet. Seule une volonté politique forte sera en mesure de redessiner un projet réglementaire solide, capable de répondre aux objectifs de transition énergétique tout en prenant en compte les contraintes économiques et techniques du terrain.
  • Il n’est même pas nécessaire d’attendre le décret pour bien faire les choses
    La transition énergétique dans l’immobilier ne pourra se généraliser que si elle rime avec efficacité et préservation de la rentabilité des entreprises. L’un des arguments soulevés contre le décret est la contrainte financière que pose l’obligation sans rapport avec les économies réalisées. À l’heure du digital, il existe déjà des solutions pour massifier la détection d’économies d’énergie efficacement et répondre à cette obligation à moindre coût. Citons à titre d’exemple, les audits énergétiques virtuels à l’échelle du patrimoine, l’identification des dérives de consommation et des gisements d’économies d’énergie à distance grâce au data-analytics. Autant de démarches qui permettraient, si elles étaient généralisées d’accélérer la transition énergétique des acteurs immobiliers tout en préservant leur performance économique.
  •  

L’actuel échec du décret tertiaire pose clairement le défi de la prochaine réglementation. À l’administration Macron incombe désormais la responsabilité de fixer le cap pour 2030 et offrir aux acteurs du secteur un cadre clair pour engager la transition énergétique du patrimoine tertiaire français. Les acteurs de l’immobilier devront faire le choix de la meilleure stratégie à mettre en œuvre et privilégier les solutions innovantes pour faire de cette démarche un vecteur de création de valeur.

 

Pour aller plus loin :

New call-to-action